Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Marc Keller et le cadran de la destinée du Racing

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Par magellan
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© stubehocker

Après une décennie de gestion remarquable du RCS, avec un soin particulier apporté à son ancrage local et un souci éthique du football, Marc Keller renverse la table en cédant en juin 2023, la totalité du Racing au consortium international Blueco. Essayons de comprendre pourquoi Marc Keller a choisi de faire basculer la destinée du Racing.

La vente intégrale du Racing Club de Strasbourg à une boîte britannico-américaine chantre avancé de la multi-propriété mondialiste, ne « matche » apparemment pas avec un Marc Keller qui semblait tant attaché à la fois à l’Alsace et à une éthique du football.

De la destinée en général...

A peu près chacun espère maîtriser sa destinée. Selon une grande rousse encyclopédique rencontrée à la BNU, la destinée est « la vie humaine considérée sur le plan individuel comme un ensemble de circonstances heureuses ou malheureuses et envisagée dans une issue indépendante de la volonté ».

Les trente glorieuses nous ont laissé sur les lèvres un grand goût de liberté, liberté basée sur l’abondance, la croissance, le plein-emploi, l’optimisme qui allait bien, le soulagement de l’après-guerre, et aussi les valeurs déconstructrices de mai 68. Ces réalités économiques, sociales et politiques, autorisaient une facilité de vie qui se traduisait dans la vie courante par plus de latitude à agir sur sa destinée : il était plutôt facile de changer de travail, s’enrichir, acquérir une maison, avoir des loisirs, divorcer, voyager, etc… De plus, il était interdit d’interdire…

Pourtant il n’en pas toujours été ainsi, et cette période d’après-guerre apparait plutôt aujourd’hui comme une oasis. Avant 1945 - à titre de comparaison et en prenant l’exemple personnel de mes parents - la population avait subi la redoutable crise économique de 1929 dont on parle trop peu en l’absence de tout amortisseur social, et les deux guerres mondiales. Il est clair que l’environnement limitait la faculté à conduire sa vie ; difficile de maîtriser son destin quand on est dans une tranchée ou quand on soufre de la faim. Aujourd’hui, après l’ombre portée des trente glorieuses, on commence malheureusement à retrouver un environnement économique, politique et social diminuant de fait notre pouvoir à peser sur notre destinée.

…et de celle du Racing :


Ce qui vaut pour les personnes, vaut aussi pour les entités plus grandes. Par exemple, un pays très endetté ou voisin d’un autre puissamment armé, n’aura pas toute sa liberté de parler et de faire. On peut dire qu’il sera moins souverain dans la conduite de sa destinée.

Les clubs de foot pro subissent tout naturellement ce rapport de force entre volonté interne et circonstances extérieures, d'autant qu'ils ont connu trois évolutions majeures dans les trente dernières années, évolutions contribuant toutes à diminuer le pouvoir de chaque club à peser sur son destin :

- la mondialisation du football avec l’arrivée successive à ce sport du Japon, des USA, de la Chine, et finalement des pays du Moyen-Orient.

- sa globalisation (circulation des joueurs, des capitaux et des images, multi-propriété).

- une financiarisation accrue et de plus en plus présente, qui découle des deux points précédents.

Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire de développer, la faculté du Racing à peser sur sa destinée se trouve et se trouvera limitée, en raison de moyens trop faibles comparativement à d’autres clubs.

Les données personnelles de Marc Keller :

Ce qui précède veut prouver qu’il n’existait pour Marc Keller que deux positions sur le cadran de la destinée du Racing :

- laisser le Racing grosso modo en l’état et le condamner ainsi à rester un club petit/moyen, au destin balloté selon « les circonstances heureuses ou malheureuses »,

- l’inféoder à un puissant suzerain, ce qui, adossé à une stabilité du club et un vrai savoir-faire local, pourrait amener à une plus haute destinée.

Marc Keller - tout le prouve - est un être réfléchi et prévoyant. Pour ceux qui se rappellent de Marco le joueur, ses gestes étaient retenus et prudents, mais appuyés par une forte capacité à comprendre et à analyser le jeu. Sa décennie à la tête du Racing confirme ce portait à travers une gestion sérieuse, rigoureuse, prudente, et toujours tournée vers l’avenir (centre de formation, structures solides, agrandissement du stade, …). Le choix de s’appuyer sur Blueco déroule ce même fil de prudence et de prévoyance.

« Tous les Alsaciens savent bien que le Racing sera un jour champion d’Europe ! ». Cette petite plaisanterie (qui avait circulé à un moment donné sur la Stub) est typique de l’humour alsacien. C’est un humour dont on parle malheureusement trop peu, forgé à la fois par une histoire agitée et subie, et par l’obstination d’une région originale à survivre en dépit de tout. L’humour alsacien est marqué par l’auto-dérision, le fatalisme et énormément de malice. J’ai la forte intuition que la plaisanterie résonne en Marco comme elle résonne en chacun de nous, tout au fond.

De plus, Marc Keller a eu toute latitude d’analyser l’histoire du Racing, le pourquoi de ses hauts et de ses bas, et les raisons qui ont empêché le club d’avoir un destin national et européen. Traditionnellement, deux raisons sont invoquées : hier, l’instabilité du club, aujourd’hui, le manque de bras financier. MK a pallié à la première (en tous cas jusqu’à la vente à Blueco !). Et on peut raisonnablement penser que la vente inattendue à Blueco a été réalisée pour régler la seconde. Et son raisonnement a le mérite d’être appuyé par une donnée objective : rien dans l’environnement du Racing n’indique une autre raison qui écarterait fatalement le Racing d’un destin à la Roma, d’un club turinois ou sévillan, Naples ou Dortmund, pour ne citer que ceux-là.

Le cadran de la destinée :

Marc Keller a décidé de choisir pour le Racing une destinée limitée par un manque d’indépendance, plutôt qu’une liberté affaiblie par le manque d’argent. C’est un choix courageux et audacieux. Ça peut marcher. Ça peut rater.

Le cadran de la destinée est un dispositif astronomique antique. Rouillé par 2000 ans d’eau méditerranéenne, il ne nous permet malheureusement (ou heureusement) pas de deviner l’avenir du Racing…

magellan

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