Un Hérault très discret

(NDLR : cet article fait partie d'une série d'articles au ton décalé et résolument second degré. A lire avec précaution et humour !)

Montpellier est à la satire ce que le Cambodge est à la jambe de bois : une véritable terre promise. Même pas fondée par les Romains, contrairement à ses voisines Nîmes, Narbonne, Béziers ou Carcassonne, la bourgade de Montpellier ne fait son apparition qu'au Xe siècle sur les bords de la Mosson. Rien à signaler ou presque jusqu'au 13 février 1941, lorsque le maréchal Pétain, accompagné de l'amiral Darlan, rencontre le général Franco à Montpellier.

Niveau football, c'est tout aussi passionnant : une coupe de France glanée en 1990, un titre de champion de deuxième division remporté en 1987, et une Gambardella empochée cette année. Autant dire que si chez nous on jette les trophées dans la benne à ordure, du côté de la Mosson, on est plutôt du genre à prier pour, un jour, vivre un grand moment de foot. La devise prêtée à la ville n'est t-elle pas « Vierge Mère, Priez votre Fils, pour qu'il nous vienne en aide en toute heure » ? La tuile c'est qu'à la Paillade, le petit Jésus à une sacrée gueule et s'appelle Loulou. Seul président-fondateur encore en activité, Nicollin est en fait le Père, le Fils et le Saint Esprit agglomérés en une seule et même bête. Président depuis 1974, il fît passer le club de la DH régionale à la Première division en à peine sept saisons, record absolu en la matière. L'homme incarne à merveille l'attachement fusionnel qui peut lier un président à son club : « La Paillade, c'est la fille que je n'ai jamais eu ». C'est sans doute un excellent choix. Le charismatique Nicollin a ainsi su, au fil du temps, attirer vers la Mosson quelques gloires du ballon rond : Roger Milla, Carlos Valderama, Eric Cantona, Bruno Martini et Xavier Gravelaine, notamment. Du centre de formation modèle crée par Loulou sortiront Laurent Blanc, Rouvière, Bonnisel, Lefèvre, Vercoutre. Le ratio entre joueurs mythiques et lignes au palmarès étant finalement facilement quantifiable.

A sa décharge (dont il est un grand spécialiste), Loulou a une autre passion dévorante, et c'est sans doute vers elle qu'il se tournera lorsque le milieu du foot l'aura définitivement écœuré : la Joute et le sauvetage nautique, dont il préside la Fédération Française. Lorsqu'on sait -merveilleuse tradition- que le nouveau candidat à la présidence doit précisément remonter du fond d'une rivière languedocienne celui en exercice, on comprend que Nicollin à encore de beaux jours devant lui.

Le fidèle du président, c'est Michel Mézy, alias « sourit jamais ». Lui, il n'a pas les joutes nautiques pour oublier le palmarès. Le stade du Grau du Roi porte désormais son nom, sans doute pour célébrer l'attachement qui le lie à Louis Nicollin, qu'il considère un peu comme le grand frère qu'il n'a jamais eu (un excellent choix là aussi). Pour la petite histoire, on peut voir un but de Michel Mézy inscrit sur coup franc avec l'équipe de France en 1970 sur le site de l'INA. On notera également qu'il succéda à Aimé Jacquet sur le banc montpelliérain, pour suivre finalement une trajectoire opposée.

Le coach, c'est Courbis, allias Coach Courbis. Un sacré loulou également, ancien entraîneur de Marseille mais surtout de Bordeaux, où il fit éclore le trio Duga-Liza-Zizou. La Patrie reconnaissante l'a condamné cette année, au bout d'une procédure juridique aboutie (appel et cassation), à deux ans de prison ferme. Une sombre histoire de commissions rondelettes palpées lors de certains transferts durant son passage à l'OM. « Un jour, on finira par raconter que j'ai trois couilles. C'est ennuyeux: je serai obligé de montrer les deux miennes pour rétablir la vérité... ». Cette tendance à se payer directement sur la bête, son paternel l'avait détecté dès la naissance. A la question « Roland, avec un ou deux "l"? » posée par l'officier d'état civil du quartier marseillais Saint-Josèphe en 1953, Papa Courbis aurait répondu « Bah, mets-lui en deux, comme ça il volera plus haut. » Il volera plus, surtout... Attiré par le strass, Courbis finira pendu au cou de Maria Luisa Rizzoli, épouse d'un richissime magna de la presse transalpine. Depuis 1980, entre le beau Rolland et la comtesse véline à la beauté époustouflante, c'est le coup de foudre. C'est elle qui l'initiera aux soirées de la jet-set et à la folie des tapis verts, l'autre vice de Rolland (avec le football et les affaires louches, rien que du lourd). Quand la comtesse fait son entrée dans les casinos de la Côte, flanquée de ses amis fortunés, les croupiers se frottent les mains: «Tiens, voilà la Squadra Azzurra...» Elle est à ses côtés la nuit de la Saint-Sylvestre 1989, lorsqu'il ramasse 1,6 million de francs à la roulette de Beaulieu. «Le problème au casino, d'après Rolland, c'est que quand on perd on a des ennuis avec son banquier, et quand on gagne c'est avec la police. » Au printemps de 1990, avec la comtesse, il est inculpé d'infraction à la législation sur les jeux, dans l'affaire de baronnage du Palm Beach. On les soupçonne d'être de mèche avec des croupiers et d'avoir raflé plusieurs millions sous la table. Deux procès plus tard, ils seront blanchis par la justice. Alors, Courbis est-il oui ou nom introduit dans le milieu ? En avril 1996, il prend une balle dans l'abdomen, alors que son pote, Dominique Rutily, un malfrat corse, est exécuté sous ses yeux. « Quand tu es né dans certains quartiers de Marseille, résume-t-il, la fréquentation de gros voyous, ce n'est ni un mythe ni un choix, c'est une obligation. » N'empêche que cette balle dans le bide l'empêche de courir, et de valider son diplôme d'entraîneur par la même occasion.

Vendredi, le Racing affronte donc Montpellier lors d'un match décisif pour la montée, dans un stade de la Mosson (le seul stade que la Coupe du Monde ait rendu encore plus laid) plein comme un œuf. Pour ne pas céder à un sentiment de panique légitime, voici quelques pistes salutaires qu'il fait bon méditer: Loulou Nicollin peut nous sauver de la noyade, c'est sa véritable passion. Courbis à peut-être une troisième couille. Amiens va battre Boulogne...

Note : les citations de Rolland Courbis sont tirées d'un article parue dans l'Express le 22 mai 1999.