Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Philippe Piat, toujours en pointe

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Par strohteam
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134 matches, 51 buts. On a vu pire.

Buteur prolifique du Racing des années 1965-1970, Philippe Piat a bien voulu se confier à racingstub.com à quelques jours du match contre Dijon, un autre de ses anciens clubs. Gros plan sur sa carrière, à Strasbourg et dans le monde syndical.

De Casablanca à Strasbourg


Né au Maroc en 1942, Philippe Piat a grandi en Algérie, à Tizi-Ouzou puis Alger jusqu'à l'âge de 16 ans. Il débute sa carrière à Cannes en 1963 en deuxième division. La saison suivante, il passe à Dijon où il devient le meilleur artificier du Championnat de France amateur (CFA) avec 30 buts. Un vrai CFA qui, à l'époque, fait office de troisième division mais qui ne permet pas automatiquement l'accès à l'échelon supérieur. Pour monter en D2, il faut en effet passer au professionnalisme, ce qui n'est pas dans les moyens de bien des clubs. Avec Dijon, Piat va jusqu'en finale du CFA, pour une défaite face au Gazélec Ajaccio, et honore même deux capes en équipe de France amateurs. A cette époque, il existait aussi des matches entre sélections régionales chez les seniors. Au printemps 1965, la Bourgogne de Piat affronte l'équipe d'Alsace où l'on retrouve Freddy Zix, Max Hild et un entraîneur nommé Paul Frantz. A Louhans, les Bourguignons s'imposent 4-3 grâce notamment à un triplé de Philippe Piat, immédiatement convoqué dans le car de l'équipe d'Alsace par celui qui s'apprête à succéder à Robert Jonquet à la tête du Racing. C'est donc Paul Frantz qui fit venir l'amateur d'alors au sein des rangs professionnels, un entraîneur que Piat juge « novateur » mais également réputé pour son tropisme défensif. Piat se trouvait ainsi contraint à davantage d'efforts de replacement que les autres attaquants du championnat ce qui, forcément, créa une certaine frustration chez ce pur joueur de surface.

Mais la vraie déception de Philippe Piat en ces premières années strasbourgeoises c'est la finale de Coupe de France 1966. Régulièrement aligné dans cette épreuve, il qualifie même les Strasbourgeois en quarts de finale contre Cherbourg en inscrivant le seul but de la rencontre. A quelques jours du grand match, il est prévu pour figurer au sein du onze de départ, Paul Frantz l'ayant préféré à l'emblématique René Hauss, désigné comme douzième homme. C'est alors qu'un dirigeant du club impose à l'entraîneur la titularisation de Hauss au détriment de Piat, qui sort du onze. Devant son joueur, Frantz justifiera ce « coup de Trafalgar » par des considérations tactiques : Nantes jouant de façon très offensive, il faut un défenseur supplémentaire. Ce n'est que trente ans plus tard que l'ancien avant-centre apprendra la vraie raison de sa non-titularisation, Frantz finissant par lui confesser « l'un de ses seuls regrets » au cours de sa carrière d'entraîneur ! La suite est évidemment plus connue : Hauss entre dans la légende en soulevant sa deuxième coupe de France à quinze ans d'intervalle tandis que le douzième homme ne peut que faire contre mauvaise fortune bon coeur. Les remplacements ne sont pas encore autorisés en 1966 et le seul espoir pour Piat consistait donc à espérer la blessure d'un coéquipier à l'échauffement, incident qui ne surviendra pas au Parc des Princes.

https://racingstub.com/blogs/s/strohteam/photos/001/1966-06b51_th...
Célébration après la victoire en coupe. Philippe Piat est à droite de la photo, en survêtement et avec un sourire de circonstance.

Au coeur des bouleversements du football pro


Durant l'été 1966, Philippe Piat est prêté à Monaco. C'est l'occasion pour le futur syndicaliste de découvrir l'une des particularités du football professionnel de l'époque : les transferts décidés par le club sans consultation préalable des joueurs. Sur ce plan, les choses ont énormément changé en quarante ans. Aujourd'hui, la moindre starlette n'hésite pas à s'engager dans un bras de fer pour obtenir un transfert dans le nouveau « club de son coeur ». Dans les années 1950-1960, les choses fonctionnaient de façon strictement inverse. Les présidents de clubs négociaient entre eux les modalité du transfert et le joueur n'était informé qu'en ultime instance, sans guère avoir le choix. Prévenu à la dernière minute par le président Joseph Heintz à quelques heures de la fin de la période des mutations, Piat prend donc le train de nuit le même jour pour aller négocier son arrivée sur le Rocher. Son passage en Principauté se révèle toutefois fructueux puisqu'il empile 16 buts, ce qui suffit à convaincre les dirigeants strasbourgeois de le faire revenir avec, à la clé, une place de titulaire au sein de l'attaque du Racing.

Les deux saisons suivantes seront relativement difficiles pour l'équipe mais plutôt satisfaisantes sur le plan individuel pour Philippe Piat, qui termine à chaque fois meilleur buteur du club. Au passage, il prend une petite revanche sur le sort en participant, avec d'autres membres de l'effectif, à l'éviction de René Hauss, un « putsch » qui mène au retour de Paul Frantz. En cette fin de saison 1967/1968, les Racingmen doivent toutefois disputer les barrages pour ne pas descendre en deuxième division. Initialement prévus juste après la fin de championnat, ces rencontres sont finalement décalées jusqu'au mois du juillet en raison des événements qui secouent alors la France, notamment la grève des transports qui empêche tout mouvement à travers le pays. En plein été, le Racing doit donc affronter Nîmes et Reims en matches aller-retour. A la Meinau, Piat inscrit un doublé contre Reims et encore un but contre Nîmes et l'équipe sauve sa place dans l'élite. En 1969, à seulement 27 ans, l'avant-centre du Racing succède à Michel Hidalgo à la tête de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), syndicat créé huit ans plus tôt. Forcément, une telle promotion change un peu la donne mais, d'après Piat, l'étiquette de syndicaliste n'a pas outre mesure perturbé sa carrière, hormis quelques pressions pour l'empêcher de manquer certains entraînements. Ce changement de statut semble même très bien dirigé puisque l'attaquant réalise sa saison la plus accomplie sur le plan statistique en inscrivant 21 buts dont 13 sur penalty avec aucun loupé ! Durant cette saison, Piat doit toutefois faire face à la montée en puissance d'un redoutable concurrent : Marco Molitor qui dispute sa première saison en pro. Avec Wolfgang Kaniber, ces trois là forment un trio explosif - mais pas sans tiraillements - qui permet au Racing de décrocher une belle cinquième place. Pourtant, Piat fait l'expérience, comme bien d'autres, des humeurs du public strasbourgeois, qui le siffle désormais quasiment à chaque ballon touché.

Durant l'inter-saison 1970 le club connaît le grand chambardement de la fusion avec les Pierrots. L'effectif devient pléthorique, ce qui provoque logiquement quelques départs, dont celui de Philippe Piat. Arrivé en fin de contrat – il avait signé pour cinq ans en 1965 – l'attaquant n'est pas retenu et s'en va à Sochaux accompagné d'un autre élément important, Gérard Burcklé. Il donnera rapidement quelques regrets aux suiveurs en réalisant une fois de plus une belle saison – son entente avec Georges Lech fait des ravages – tandis que le nouveau « Racing Pierrots Strasbourg Meinau » (RPSM) se traîne en fin de classement et s'enfonce dans les querelles internes. L'histoire de Philippe Piat va cependant rapidement recroiser celle du Racing. En décembre 1972, l'appel à la grève lancé par l'UNFP pour protester contre une modification du statut des joueurs sans consultation des principaux intéressés est particulièrement bien suivi au Racing. En mise au vert à La Clusaz, les joueurs pros refusent d'aller jouer le match à Marseille, provoquant la fureur du président Alfred Wenger, qui démissionne sur le champ. Parmi les grévistes, on trouve beaucoup d'anciens coéquipiers de Philippe Piat et, forcément, les relations amicales peuvent aider à la mobilisation, même si Piat, très pris par le mouvement général, s'est à l'époque peu occupé de ce qui se passait au RPSM.

La grève débouchera finalement quelques mois plus tard sur l'adoption de la charte du football professionnel, qui existe toujours aujourd'hui. Véritable convention collective du monde pro, ce document fixe les obligations respectives des clubs et des joueurs. Il est une des grandes conquêtes de l'UNFP, syndicat présidé par Philippe Piat depuis maintenant quarante ans. L'ancien Strasbourgeois a été de tous les combats pour défendre, au-delà des grandes stars, les joueurs ordinaires au destin pas toujours enviable. Un de ces anonymes est d'ailleurs devenu l'un des footballeurs les plus célèbres au monde : Jean-Marc Bosman fut soutenu financièrement par le syndicat pour pouvoir maintenir sa plainte devant la Cour de Justice des Communautés Européennes. L'affaire débouchera sur la généralisation du contrat à temps – il n'existait auparavant qu'en France et en Espagne – et, par ricochet, sur l'interdiction des quotas de joueurs communautaires au sein des clubs. Aujourd'hui, l'UNFP rassemble plus de 80 % des joueurs professionnels et touche 1% des droits de télévision pour financer ses diverses activités, dont le soutien aux joueurs sans contrat, à l'image d'Arnaud Maire cet été. Avec une telle assise, le président du syndicat est forcément très écouté lorsqu'il s'exprime. Ce fut le cas la saison dernière lorsque les joueurs lancèrent un appel à la grève pour protester contre une tentative de prise de pouvoir des présidents de club au sein du conseil d'administration de la Ligue. Finalement, un compromis fut trouvé et la grève n'eut pas lieu, évitant ainsi une répétition des événements de 1972.

Toujours très actif au sein des diverses instances, Philippe Piat aura sans doute une oreille attentive pour le résultat du match à venir entre le club qui l'a révélé et celui où il a passé l'essentiel de sa carrière professionnelle.

L'auteur remercie Philippe Piat pour sa disponibilité.

Sources complémentaires


- Le Livre d'or du Racing club de Strasbourg, d'Armand Zuchner (1977)
- « L'arrêt est détourné », interview de Philippe Piat avec Marc Chevrier, dans L'Equipe du 15 décembre 2005
- Racing 100 ans, de Pierre Perny (2006)
- « Philippe Piat, l'éternel syndicaliste du ballon rond », dans La Croix du 14 octobre 2008
- « Philippe Piat; La balle au "Bon" », article d'Alexis Danjon et Laurent Troude, dans Libération du 20 octobre 2008

Le titre auquel vous avez échappé


« Piat, c'est qui ? » ([login=que le coupable se dénonce])

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