Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Disparition d'André Bord

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Par strohteam
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Figure marquante de la vie politique alsacienne, André Bord a également traversé des décennies d'histoire du Racing, dont il fut le controversé président de 1979 à 1985.

L'article ci-dessous est un complément rédigé sur l'instant au portrait plus documenté réalisé par @filipe en 2005, que vous pouvez retrouver ici.


Dérouler le très long CV d'homme public d'André Bord s'apparente à une gageure tant les mandats, titres, fonctions et distinctions sont nombreux. Résistant puis militant RPF, il est constamment réélu député de la deuxième circonscription de Strasbourg de 1958 à 1978. A partir de 1966, il est, pour une douzaine d'années, l'inamovible « ministre alsacien » sous trois présidents de la République et six chefs de gouvernement différents. Il faut également compter avec les présidences des conseils généraux et régionaux d'avant la loi Defferre ainsi que d'éminentes fonctions sur le plan européen puis franco-allemand.

Un palmarès éloquent que ne manqueront pas de détailler les multiples éloges funèbres, mais où se dessine en creux une absence frappante : le pur strasbourgeois André Bord n'aura jamais été maire de sa ville. Gaulliste et « Parisien » il souffrait de deux handicaps notoires dans une cité qui s'est toujours plus volontiers donnée à des chrétiens-démocrates et n'apprécie guère que ses édiles fréquentent trop l'autre capitale. Il se dit aussi souvent que ce satané Racing a constitué une autre épine dans le pied, puisqu'André Bord a connu ses premiers déboires électoraux au moment où son rôle au club s'étendait, sur fond de conflit exacerbé avec l'idole Gilbert Gress. Personne n'a bien sûr oublié ce soir de septembre 1980 qui vit la Meinau prendre littéralement feu, ainsi que « l'affaire Racing » qui se prolongea pendant des mois tandis que le club sombrait petit à petit.

On ne saurait pourtant résumer l'histoire d'André Bord avec le RCS à ce seul instant paroxystique du tournant des années 1980 tant la chronologie se dilate, en amont comme en aval. L'adolescent du Schluthfeld fut ainsi avant-guerre un licencié de la section de basket-ball tandis que le notable garant de l'omnisports ferraillait encore en 2003 à propos de la marque et du blason. Même le registre matrimonial porte la marque du club meinauvien puisqu'on y trouve le nom d'une certaine Heisserer Francine, la fille du grand Oscar, qu'André Bord épousa en secondes noces.

C'est néanmoins en 1970 que celui qui est alors secrétaire d'Etat à l'intérieur et président du Conseil général du Bas-Rhin entre vraiment dans la danse, à l'occasion du mariage de déraison qui devait donner naissance au grand club strasbourgeois. André Bord constitue en quelque sorte le « M » du baroque sigle RPSM, puisque sa petite association sportive et culturelle de la Meinau se trouve incluse dans le barnum de la fusion entre les Pierrots et le Racing. C'est alors l'occasion d'entrer dans le monde du football professionnel au côté d'une vieille connaissance, Emile Stahl, pour y faire fructifier l'influence politique et un indéniable entregent, mais aussi contrebalancer le pouvoir montant du truculent Alfred Wenger. Interviewé en 2003, Stahl résumait les choses de façon un peu abrupte mais non sans fondement : « Le RPSM c'est une histoire de copinage entre Bord et moi » (1).

Si les intrigues pour le moins byzantines qui rythment la vie du club éloignent quelque peu dirigeant Bord du centre du pouvoir, l'homme politique n'est cependant jamais très loin lorsqu'il s'agit pour le Racing de tendre -déjà ! - la sébile du côté des collectivités publiques. Le Conseil général participera ainsi généreusement à la relance, en 1975/76, d'un club à l'agonie financièrement lorsque l'épisode RPSM se solde par une nouvelle relégation. Un coup de main qui appelle contrepartie, puisque l'animal politique écarté du pouvoir national sur fond de conflit Giscard/Chirac entend bien se refaire une santé localement en accompagnant ce Racing soudain devenu irrésistible sous la houlette de son alter-égo, l'autre grande gueule du Neudorf, Gilbert Gress. Présent dans la coulisse et sponsor officieux depuis quelques années déjà, André Bord se propulse sur le devant de la scène dès juin 1978 en succédant à Alain Léopold au poste de président général, une fonction en grande partie honorifique qui chapeaute l'ensemble des sections d'un club alors véritablement omnisports – les handballeurs sont par exemple champions de France en 1977.

C'est donc en tant que primus inter pares sans réel pouvoir exécutif que Bord assiste au triomphe de la bande à Duguépéroux à Lyon. Pas pour longtemps cependant, puisque dès juin 1979 Alain Léopold est sympathiquement poussé vers la sortie par un tandem Bord/Gress alors à l'unisson. Devenu président de la section professionnelle, l'ancien ministre signe un premier transfert clinquant en attirant l'ancien golédaor de Reims et du PSG, Carlos Bianchi. La suite est moins rose, on le sait, puisque le conflit entre l'entraîneur jaloux de ses prérogatives et le président qui n'entend pas se contenter d'acter les décisions se fait de plus en plus sourd avant d'exploser à l'automne 1980 quand Gilbert Gress est éjecté sur fond de début de saison raté.

Devenu seul maître à bord, André Bord traînera comme un boulet l'éviction précoce d'un entraîneur emblématique à l'image à peine écornée. Le public alsacien prend majoritairement fait et cause pour le banni de Neuchâtel, au point d'aller le soutenir par cars entiers du côté de la Maladière tandis que la nouvelle Meinau sonne bien creux pour un Racing qui tombe dans l'anonymat du ventre mou avant de fréquenter trop souvent les abords de la zone de relégation. Ce n'est pourtant pas faute d'efforts et de recrutement clinquant puisque le président se fait fort d'attirer un entraîneur champion de la Bundesliga voisine (Jürgen Sundermann) pour faire oublier Gress, tout en allant piocher des joueurs sur des latitudes plus inconnues... et parfois incongrues, à l'image d'un Porfirio Betancourt recruté sur un demi-match intéressant avec le Honduras au Mundial 1982.

Au final, l'amalgame ne se fera jamais entre vedettes étrangères ou sur le retour, entraîneurs plus ou moins intérimaires et les quelques jeunes du tout nouveau centre de formation qui seront, in fine, les seuls à vraiment maintenir le navire à flot. On peut d'ailleurs noter avec quelques regrets que c'est à cette époque que le Racing se prive sans vraiment le savoir de la compétence d'un jeune entraîneur en devenir, Arsène Wenger. Il faut toutefois souligner à la décharge d'André Bord que les élites locales ne se sont pas privé de lui savonner la planche. C'est bien de cette époque que date l'image éculée du « microcosme », maintes fois convoquée depuis. Pour résumer à grands traits, on peut dire que les rivaux politiques d'alors – de gauche comme de droite - n'étaient vraiment pas mécontents de voir le Racing enchaîner les défaites alors que se profilait la succession de Pierre Pflimlin à la mairie. De fait, les déconvenues footballistiques ont précipité la fin de carrière politique d'André Bord, qui a dû se contenter de hochets dès la petite soixantaine venue quand tant de ses homologues ont largement dépassé l'âge de la retraite sans lâcher leurs confortables fauteuils de décideurs.

Exfiltré dès 1985 à la faveur d'une révolution de palais, André Bord se décharge véritablement de la section professionnelle en 1986 en la confiant à Daniel Hechter entre deux matches à Roland-Garros. Tout juste absous de sa suspension consécutive à la caisse noire du PSG, le couturier propulse violemment le Racing dans le monde du show-business et des médias que son prédécesseur avait déjà effleuré, sans plus de succès sportif et avec une hostilité locale redoublée. C'est au reste une nouvelle fois André Bord qui finit par se trouver à la conclusion d'une histoire qu'il avait initiée, puisque l'omnisports dût en 1990 assurer la transition entre le comité de gestion en cessation de paiements et la nouvelle société d'économie mixte exigée par la municipalité pour renflouer le club.

L'intervention de l'ancien ministre dans les affaires du RCS sera ensuite plus épisodique, et de plus en plus anecdotique. En 2003, il défend encore bec et ongles les intérêts de l'omnisports – séparé organiquement du Racing pro depuis 1997 – face à un Patrick Proisy jamais avare de rodomontades. En 2005, c'est à nouveau lui que les dirigeants strasbourgeois viennent trouver pour faire accélérer les démarches liées au service militaire d'Hosni. Quelques mois plus tard on apprend sa réconciliation avec Gilbert Gress, au point qu'il signe en 2009 la préface du pamphlet que consacre son ancien entraîneur à un dernier passage du côté de la Meinau.

On se gardera bien, au terme d'une saga trop vite résumée, d'esquisser un bilan de l'action d'André Bord au Racing. Si la gestion du club constitue à n'en pas douter l'échec de sa vie d'un point de vue personnel, il est plus difficile de faire la somme de ce que Bord a pu apporter, en bien comme en mal, à un club qui n'a jamais manqué de protagonistes pour alimenter les intrigues en son sein. Reste l'impression d'un spectaculaire gâchis, nourri cependant sur les bases du plus beau des triomphes. Nothing fails like success aurait pu dire l'autre grand disparu du jour, Kenneth Waltz.


Note


(1) Cité dans Pierre Perny, Racing 100 ans, 2006, p. 231.

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