Un gâchis teinté de succès

Le film de la saison

Tombée en CFA2 après une saison bien compliquée sportivement à l'étage au dessus, la réserve de François Keller a bien failli ne jamais débuter ce championnat. Les atermoiements et autres volte-face de Jafar Hilali devant la DNCG ont non seulement manqué de conduire l'équipe première en CFA, mais également sa petite soeur un rang plus bas, puisque le règlement impose un écart de deux divisions. C'est donc dans un climat incertain, dans le sillage du club et de sa gestion, que les jeunes pousses du centre de formation reprennent l'entraînement le 15 juillet. Cette année encore, et à un degré encore plus important que durant l'exercice précédent, Laurent Fournier a été contraint de piocher les meilleurs jeunes éléments afin que son équipe puisse ne serait-ce que s'aligner en championnat. C'est donc un groupe extrêmement jeune, « le plus jeune qu'il n'ait jamais eu à coacher » de l'aveu de François Keller, qui va se frotter à ce championnat peuplé de vieux briscards, à l'image du Jarvillois Michel Engel, 41 ans, ou des trentenaires comme Hervé Milazzo ou Olivier Rambo à l'ASIM. On retrouve également dans le lot des adversaires des joueurs ayant suivi une formation professionnelle il y a quelques années, dont quelques anciens Racingmen - à Schiltigheim notamment.

Afin de compléter ce groupe de joueurs issus des générations 1991, 1992 et 1993, le staff du centre de formation a recruté six joueurs : Samuel Yohou (capitaine de la réserve du Paris FC), Gary Fournier (le fils de l'entraîneur des pros), Charles-Elie Laprevotte (Epinal), Yoan Massard (Besançon), Jérémy Bahloul (Brest) et surtout Jérémy Faug-Porret. Ce dernier possède un profil différent de ses petits camarades. Plus âgé (il est né en 1987), le latéral gauche des Pierrots Vauban est également diplômé en STAPS, et sera chargé de la préparation physique de l'équipe réserve, en lieu et place de Sébastien Chinelli, parti chez les pros.

Les neufs matches amicaux sont non seulement l'occasion de peaufiner les automatismes, mais également d'accueillir d'anciens joueurs du club à la recherche d'un club. Une démarche qui peut surprendre, mais que François Keller voit également comme un exemple montré à ses jeunes : une carrière peut connaître des périodes de creux. Après la première rencontre de préparation (0-0 face à Haguenau), l'entraîneur alsacien semble déjà cerner les points à améliorer : « c'était un match à l'image de notre saison passée, où on se crée des occasions qu'on ne convertit pas. J'espère que ce sera différent. Mais j'ai vu de bonnes choses, avec un travail défensif rigoureux ». Quelques succès probants (5-0 à Bisheim, 4-0 contre Illhauesern et 3-2 à Reipertswiller) viendront apaiser une partie de ces doutes, mais le reste de la préparation est assez inégal. Avant son premier déplacement de championnat à Selongey, l'équipe est encore à la recherche de certitudes. Si les Strasbourgeois partent avec un déficit physique et un manque d'expérience évident, leur entraîneur espère pouvoir miser sur d'autres qualités : « la vitesse, la générosité, la solidarité. C'est à ce prix là qu'on y arrivera ».

Le championnat de CFA2 ne débute pas sous les meilleurs auspices. Une défaite cruelle en Bourgogne, alors que Gherardi, Laprévotte ou encore Benedick ont plusieurs fois l'occasion de faire tourner le match en leur faveur, puis un nouveau revers à domicile face à Saint Louis. Si les résultats sont pour le moment absents, les observateurs n'auront pas manqué de relever un potentiel collectif indéniable. François Keller reste lui philosophe: « c'est comme ça qu'on va apprendre. » Après avoir arraché un point aux forceps à Auxerre, contre l'équipe 3 de l'AJA, l'équipe va se libérer, à l'image de son secteur offensif, qui va inscrire 12 buts en 4 matchs, dont 4 contre Sarre-Union et Forbach. La machine est lancée et le Racing remonte progressivement au classement. Mais surtout, cette bande de gamins - la moyenne d'âge oscille autour de 18 ans - prouve qu'elle a un avenir. Laurent Fournier l'a bien compris et n'hésite pas à inviter certains éléments à s'entraîner voire à jouer avec les pros. Le grand public fait ainsi connaissance avec Cyriaque Rivieyran, Raphael Gherardi, Yann Benedick ou encore Nouha Dicko. En championnat, malgré un revers à Saint-Dié (sous les yeux de quelques stubistes), les Bleus ne lâchent pas et se permettent même un succès probant (3-0) face à la réserve de Dijon, le grand rival pour la première place. A mi-parcours, c'est cette place qu'occupe Strasbourg, même si la perspective d'un retour en CFA semble tout de même assez floue. Qu'importe, les joueurs prennent du plaisir et les succès s'enchaînent (7 en 8 matchs entre janvier et mars).

Mais comme chez les pros, l'actualité se situe bien plus dans les coulisses que sur la pelouse. Les conflits provoqués par Jafar Hilali vont toucher le centre de formation. C'est d'abord la question de la prise en charge des salaires des employés, dont Jean-Marc Kuentz et François Keller, qui sera levée par les Londoniens. Ensuite, c'est l'avenir même de l'ensemble de la structure, joueurs compris, qui sera remis en cause par l'opération de destruction programmée du club. Sans raison apparente, et au contraire de toute logique sportive et économique, le président du Racing décide unilatéralement de n'accorder aucun contrat, pro ou stagiaire, aux jeunes pousses. Devant une telle situation, on aurait pu penser que les joueurs allaient lâcher et faire passer leur intérêt personnel avant l'intérêt collectif. C'était mal connaître l'état d'esprit exceptionnel de ces jeunes hommes. Malgré la pression des recruteurs, de plus en plus présents dans la tribune de Molsheim et les inquiétudes liées à l'avenir, l'équipe fait bloc et poursuit sa marche victorieuse.

Au sortir d'un mois de mars plus compliqué (3 matchs nuls, une défaite), elle redresse la barre et s'impose de fort belle manière contre Saint-Dié (3-1), à la grande joie de son entraîneur : « je suis content de cette victoire, qui va, je l'espère, ouvrir une bonne série ». Et François Keller ne croit pas si bien dire, puisque la dernière ligne droite se passera presque sans embuches, notamment avec de larges succès à Jarville (0-3) et contre Vauban (3-0). A deux journées de la fin, le Racing se rend en leader à Dijon, son dauphin pour deux points. Le calcul est simple, en cas de match nul ou de victoire dans la capitale de la moutarde, le titre de CFA2 sera acquis. L'enjeu est de taille, mais Yann Benedick et Tristan Do font rapidement la différence au tableau d'affichage. Devant une poignée de supporters ayant fait le déplacement en Bourgogne, cette bande de jeunes, à peine sortis de l'adolescence, vient de prouver qu'elle a le niveau et qu'elle est capable de percer à l'échelon professionnel. Malheureusement, ce ne sera probablement pas au Racing, la faute à un président, ouvertement tancé dans leurs chants. Le dernier match est l'occasion de célébrer ce titre au stadium de Molsheim. Accueillis sur l'air de « We are the champions » du groupe Queen, et remercié par une banderole « Bravo les champions », les Bleus prouvent qu'ils ne sont pas encore en vacances, avec une victoire 3-2 contre Selongey, défaite qui pousse les Bourguignons vers la DH.

La joie est à la hauteur de l'exploit, mais déjà, le sentiment de gâchis semble poindre. Comme un symbole, après les cris, les embrassades et le champagne, les joueurs saluent une dernière le public et font leurs adieux à François Keller et Jean-Marc Kuentz, qui voient là leur travail exceptionnel mis à sac par un homme qui ne connaît probablement même pas le nom de ces jeunes talents. Cette génération prometteuse aurait normalement dû faire le bonheur du club lors des prochaines saisons. Il n'en sera rien.

Les satisfactions individuelles

Difficile de faire ressortir l'un ou l'autre joueur tant l'équipe s'est appuyée sur un collectif bien huilé. Le titre est surtout le résultat de la complémentarité évidente de cette bande de potes, où chacun à eu son rôle à jouer. Les habitués du stadium de Molsheim auront donc eu plaisir à voir cette équipe jouer, et bien jouer, ensemble.

Arrivé sur la pointe des pieds durant la préparation estivale, Jérémy Bahloul cherchait simplement à se maintenir en forme après une expérience à Brest. Il signe finalement un contrat, et s'impose comme un des leaders de l'équipe, jouant parfaitement son rôle de grand frère. Très sûr sur sa ligne, il fut également le dernier rempart de la meilleure défense du championnat (21 buts encaissés en 30 matchs).

En défense, le duo Nicolas Dreyer - Morgan Ancian s'est montré très complémentaire et efficace. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le second a été le joueur le plus utilisé par François Keller. Sur le côté gauche, le capitaine Jérémy Faug-Porret a montré une combativité et une détermination sans faille durant toute la saison. Ses montées ont également permis d'apporter un vrai plus offensivement.

Au milieu, les satisfactions sont nombreuses. Au coeur du jeu, Cyriaque Rivieyran, Raphael Gherardi et Charles-Elie Laprevotte se sont tous révélés comme d'excellents pourvoyeurs de ballons. Leur qualité technique est en grande partie responsable du jeu produit par l'équipe. On relèvera également les prestations de Brian Amofa, blessé une bonne partie de la saison, mais qui possède indéniablement le potentiel pour prétendre à une belle carrière. Egalement longtemps blessé, Adel Benchenane a parfaitement joué son rôle de meneur jeu, et sa polyvalence sur tout le front de l'attaque est un bel atout pour la suite.

Sur le front de l'attaque, on retrouve les deux meilleurs buteurs de la saison, Yann Benedick (13 buts) et Nouha Dicko (8 buts). Le premier est un vrai buteur, à la qualité de finition très sûre, mais également un excellent technicien, capable d'éliminer son adversaire en un contre un. Ses percées sur le côté droit ont également fait plusieurs fois le bonheur des spectateurs. Le second a confirmé sa bonne première saison en CFA. Rapide et physique, il est déjà suivi par bon nombre de clubs en première division. Enfin, derrière ce duo, un petit bonhomme d'à peine 18 ans a pointé le bout de son nez. Auteur de 5 buts en 14 matchs, Tristan Do fut la révélation de la deuxième partie de saison. Très vif et déjà doté d'une belle palette technique, il fera le bonheur de Lorient dans les prochaines années. Le symbole, comme les autres, d'un véritable gâchis.