Il y a maintenant six ans, naissait le jeu multijoueur le plus pratiqué au monde, Counter-Strike. Depuis ce jour, le mod le plus abouti du révolutionnaire Halfe-Life n'a cessé d'évoluer, de s'enrichir, mais surtout de se démocratiser. Parallèlement à cela, c'est toute une communauté de gamers, restreinte à ses débuts mais s'agrandissant de plus en plus notamment grâce au développement d'internet, qui naquit et qui vit son visage modifié du tout au tout en l'espace de quelques années. C'est ainsi que exactement à l'image de notre société, la communauté CS compte aujourd'hui dans ses rangs des comiques, des talentueux, des artistes, des marginaux, des perdus, des charismatiques, des bûcherons, de peureux, des tricheurs, etc... Penchons nous à présent sur ceux qui forment une partie de cette communauté : les joueurs méconnus qui n'existent que par le net, récemment baptisés par [aAa] JoN1oP: les e-boys (Attention, afin d'éviter tout amalgame, je précise que je n'inclue pas dans ce qui suit la grande quantité de CSeurs qui jouent tranquillement pour le fun dans une ambiance chaleureuse et décontractée !).
Un paradoxe fondamental régit les relations entre e-boys : tous les joueurs sont plus ou moins sur un pied d'égalité, et ne peuvent souffrir d'aucune discrimination a priori (si on néglige les différences matérielles qui peuvent exister (connection, hardware)). En effet, ils ont tous les mêmes armes, les mêmes apparences, les mêmes capacités. Et pourtant, le paraître et le faux-semblant font partie intégrante de la vie d'un joueur du net.
Abordons dans un premier temps les différents subterfuges « in-game » (dans CS même) adoptés par les e-boys afin de paraître.
Tout d'abord la calligraphie des pseudonymes : elle a été sujette à de nombreuses modes tout au long de l'évolution de CS. Au commencement, il eut les pseudos ainsi que les noms de clans encadrés de deux crochets: sobres et efficaces. Puis, les nicks se sont allongés et brodés toute sorte de symboles (vaguelette, tirets, étoiles, apostrophes, etc...), par la suite, il y eut la mode des lettres remplacées par des caractères, des chiffres, ou des signes de ponctuation. Aujourd'hui la tendance générale s'oriente vers le bannissement de toute voyelle dans les pseudonymes. Ainsi, à l'image des « fashion victims » vestimentaires, le net-player se doit d'avoir un pseudo tiré à quatre épingles en fonction de la mode du moment, déchiffrable par la seule caste des e-boys initiés à ce langage si particulier.
Un autre phénomène, plus anecdotique celui la, est celui du switch intenpestif. En effet, le net-gamer se doit de prouver à tous ses acolytes qu'il est capable d'utiliser toute l'étendue de son armement, en switchant sans arrêt d'arme, quitte à se retrouver face à face avec un ennemi, la smoke entre les mains !
Mais penchons nous à présent sur l'arme fatale de l'e-boy, sa botte secrète, son lieu de prédilection : IRC, et plus précisément Quakenet. La quête ultime du joueur du net est la reconnaissance à travers son mode d'expression.
Ainsi, l'e-boy se doit d'utiliser un langage codé le plus incompréhensible possible, composé d'un franglais approximatif, avec un minimum de voyelles, et un maximum de vocabulaire technique, afin de s'adresser à une certaine classe d'érudits aptes à décrypter ses messages, excluant ainsi tous les joueurs basiquement francophones.
En outre, le net-gamer dispose d'un ego démesuré, et clame haut et fort (dans son langage bien sûr) sa volonté farouche d'intégrer des clans de bon niveau, motivés et actifs, dans l'espoir de tutoyer un jouer la crème de l'e-sport francais. On pourra citer en exemple accablant #clanwar.fr, le royaume du fake par excellence. A en croire les annonces qu'on y trouve, la scène CS francaise est en parfaite santé : tous les joueurs sont « High lvl », et toutes les teams cherchent des joueurs « High lvl » !
Enfin, la visée ultime d'un joueur du net n'est pas seulement de battre des teams du top40 fr sur des serveurs « qui touchent », mais c'est aussi d'avoir un chan irc blindé, avec le petit détail qui fait toute la différence : le Q-bot... Par essence même, un channel irc est un moyen pour une team ou une communauté de se retrouver afin de discuter et d'échanger. L'e-boy, lui, préfère avoir un chan rempli de ghosts et de parfaits inconnus, ne prennant la parole que pour faire la pub de son propre channel, afin que lui aussi ait un salon bien rempli, et puisse faire croire que lui aussi a une foule de potos comme les vrais pro-gamers. Ainsi, la recherche de « performs serieux » dans le but de voir un jour le foutu L se transformer miraculeusement en Q constitue un passage obligé dans l'accomplissment de tout e-boy qui se respecte. Le pouvoir de ce bot a pris une dimension incommensurable, à en faire pâlir de jalousie les plus grands dictateurs africains ! « c comme un L, sauf que c mieu, st00 kwa l0l stfu! ».
Sans vouloir tomber dans un délire nostalgique de vieux combattant du type « c'était mieux avant... », je crois qu'il est grand temps pour tout le monde de revenir aux fondamentaux qui ont fait la chaleur de la communauté CS à ses débuts, afin de retrouver un semblant de convivialité dans un jeu qui en offre de moins en moins, et de quitter définitivement ce royaume du paraître...
